Dès que ma mère a pu me faire dessiner, elle a pris l’habitude de me
faire asseoir près d’elle en me donnant un papier et un crayon, avec un
objet posé devant moi, et elle me disait: “Dessine ce que tu vois”.
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Je ne peux pas expliquer la joie, le bien-être que j’éprouve quand j’ai un crayon ou un pinceau dans les mains.
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Les lignes parlent, elles ont toutes un langage. L’horizontale, c’est la souplesse, c’est le sommeil, c’est la tranquillité. La diagonale, c’est l’épée dans le dos, c’est la bagarre. La courbe, c’est la grâce, c’est l’ornement, c’est l’amabilité. Et dans chaque objet, il y a tout ça.
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Les gouaches ne sont, pour moi, que des études. Il a fallu toute une vie pour les faire comme elles sont, mais elles ne sont pas interprétées.
Devant la nature, je ne me pose pas de questions: je la vois, elle me dirige, elle me dit que tel accord est bon, bien que parfois la nature ait des accords pas tout à fait justes. Mais elle s’impose à moi. Tandis que je suis très autoritaire quand je transpose le sujet dans ma peinture.
Le public préfère généralement les choses d’après nature. Il est certain que la géométrie d’une composition ne s’impose pas à quelqu’un qui voit un arbre là où le peintre a mis une verticale.
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Certains peintres accentuent le cerne. Moi j’ai travaillé de longues années pour chercher comment le dissimuler. En le colorant, puis en l’effaçant. Le travail sur le trait est subtil.
Et puis je suis arrivée à Montpellier. J’ai été enchantée par la lumière méditerranéenne. Cette lumière a donné son caractère à ma peinture, qui est une peinture claire, moderne.
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Si je cherche à peindre la lumière, ce n’est pas avec la touche des impressionnistes car j’ai traversé l’influence de Cézanne et du cubisme, mais il y a, dans mes peintures, une décomposition de la lumière.
Ma mère me disait: “Fais attention, dans l’art de la peinture, on passe du trop au pas assez, c’est tout le temps comme ça”. Il faut trouver un juste milieu.
Par exemple, en décidant de peindre des marines, j’ai pensé à la construction. Je me suis dit que la construction serait l’intérêt de ce travail. Alors j’ai trouvé ces diagonales qui étayaient ces marines. Sous les brumes, l’écume ou les nuages, il y avait mes lignes, qui faisaient que ce n’étaient plus les marines de tout le monde. J’étais ravie de voir que j’arrivais à garder une certaine dureté tout en représentant du vague.
Étant un peintre du Midi, je suis sensible à une très forte couleur.
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J’ai toujours trouvé la nature un peu fadasse. J’ai travaillé sur la nature à la fois parce que c’était agréable, et parce que j’étais seule. On est pris par une poésie devant la nature. Mais elle ne vous donne pas toujours le secret de la couleur. Le secret de la couleur c’est l’étude, qui permet de mettre une tâche violente et de se demander par quels passages établir, entre les couleurs, des amitiés et des oppositions.
C’est une erreur de parler de “coup de crayon” ou de “coup de pinceau”. C’est d’abord l’esprit qui vous oriente, et ensuite la vue.
Les gens voient un pot, une fleur, une assiette, pour eux la ligne ne compte pas. En réalité, ce qui fait l’art c’est la ligne, la surface, la coloration, la valeur, l’architecture, l’ensemble de la composition. Ce que je vous dis serait peut-être mieux placé dans la bouche d’un artiste qui ferait de l’abstraction, mais moi aussi j’ai été très tentée par l’abstraction, et il y a beaucoup d’art abstrait dans mon travail : c’est la carcasse.