Article envoyé par Bernard Derrieu à Colette Richarme au lendemain d’une soirée de discussion à Psalmodie, en 1988
La pensée chinoise fonctionne sur des dualités d’images complémentaires. Par exemple, le ciel représente l’énergie tandis que la terre figure la structure…Un troisième élément peut alors apparaître : l’homme, qui est le mouvement.
ÉNERGIE, STRUCTURE, MOUVEMENT, telles sont les données fondamentales de la pensée chinoise… N’est-ce pas dans ce triangle chinois que Richarme trace son propre cercle ? N’est-ce pas avec cette pensée qu’elle peint ?
Je crois que les critères courants de l’art occidental, dans la complication des époques et des écoles, ne sont pas aussi satisfaisants, pour apprécier l’art de Richarme, que ces simples principes rapportés de cette Chine où, ne l’oublions pas, elle est née.
Ne soyons pas surpris, lorsque Richarme parle de son travail, de l’entendre toujours employer les mots de « force », « composition », « élan ». Son obsession paraît être, à chaque instant, la recherche d’une ligne qui saura répondre à une précédente, ainsi que l’approfondissement de «passages » et l’aménagement de « repos ».
Peut-être, pourrait-on imaginer qu’un tel type de travail soit d’ordre architectural, rationnel au sens français, cartésien. Il n’en est rien. Sa logique en est laissée au hasard, et encore une fois à la manière chinoise, puisqu’en Chine le hasard est ce qui permet à des éléments différents de se réunir dans un rapport positif. On peut donc dire que Richarme peint « au hasard », à la façon chinoise.
Son tempérament « chinois » fait de Richarme une étrangère au pays de la peinture française ou méridionale. Et, c’est par ce biais de l‘étrangeté qu’elle aura illustré la Salomé d’Oscar Wilde, aimé la poésie de Stéphane Mallarmé, ou connu quelques œuvres secrètes d’Odilon Redon.
Par sa fréquentation des ateliers parisiens dans les années 1930 (dont celui de la Grande Chaumière), Richarme a acquis un métier incontestable… Mais le métier est « un peu lassant », dit-elle : c’est pourquoi elle s’efforce de « faire des sacrifices », c’est à dire épurer, ne pas asphyxier l’œuvre dans trop de richesses. Et là encore, le modèle chinois resurgit.
L’une des références essentielles de Richarme en matière picturale, ce sont les caractères chinois : où l’image est synthétisée, où le plein joue avec le vide dans une tension maximale.
Quant aux couleurs… On le sait, le regard de Richarme n’a jamais été plus éclairé que par les fils de soie que manipulait sa mère, elle-même artiste. Couleur et lumière, lumière et fluidité, fluidité et transparence, transparence et lignes, lignes et texture, ce sont autant de subtilités dans le travail de la matière qu’il est difficile de théoriser.
Disons seulement qu’il y a chez Richarme cette orientation vers un certain éblouissement (en plus de la richesse dont nous parlions plus haut), qui se traduit par l’expression double d’une réalité épaisse, et d’une surréalité évanescente. À propos d’une de ses toiles récentes (1988), Richarme parle elle-même de « lutte entre le réel et le rêve ».
Reste à s’interroger sur la place d’un tel art « orientalisant » dans la société française, ou méridionale. On sait que Richarme faillit faire partie du Groupe Montpellier – Sète, avec Bessil, Couderc, Fournel, Descossy et compagnie : mais comment mettre la Chine entre Montpellier et Sète ?… Sans doute Richarme aurait-elle été plus à l’aise dans un Groupe Paris – Canton. Hélas, le marché de l’art est fait de minuscules compartiments, et la critique manque tout le temps de recul.
Les dernières toiles de Richarme, probablement serait-il plus opportun de les exposer d’abord à Pékin, Moscou, ou Tokyo, devant un public oriental et extrême oriental qui les comprendrait mieux. En attendant que les moyens de communication permettent effectivement de telles expériences, Richarme continue sa peinture, sans varier. Elle y travaille chaque jour depuis des décennies (ceci suffirait à la rendre remarquable), démêlant les écheveaux yin et yang, seule, à l’écart d’une société qui s’applique à s’américaniser de plus en plus.
Réponse de RICHARME la semaine suivante
Cher ami,
Vos “quelques notes rédigées un matin” ont fait autour de nous l’effet d’un feu d’artifice éblouissant. Ce feu, signe de fête délirante chez les Chinois, émerveillement coloré et sonore mais aussi cause de tant d’accidents oculaires… Ce feu m’a réveillée d’une sorte de torpeur, d’un oubli profond, celui de ma jeunesse, celle des clairs de lune, des pirogues aux têtes de dragon crachant le feu, et des bercements de la rivière des Perles.
Vous avez trouvé une clef du mystère.
Assembler les “forces”, en détruire d’autres, rechercher une tâche colorée qui réponde à une autre, lointaine mais indispensable pour créer “l’élan”, etc. Mais cette communion entre nous a été si surprenante que je ne puis en parler qu’avec retard. (…)