50 agendas retraçant sa vie de 1937 à 1991. Richarme y note les rencontres, les balades, les événements et pour beaucoup d’œuvres les étapes de leur création.
A l’écoute du monde de son temps, on y trouve des témoignages parfois poignants sur certains évènements historiques comme ce texte en mémoire des résistants de la Madeleine :
En allant vers Sète, avant Frontignan, tout près des garrigues les plus pauvres où fleurit l’asphodèle en mai, l’auto tourne à droite vers Fabrègues.
Dès le tournant l’émotion surgit de terre et prend à la gorge : Des stèles en hémicycle se dressent impérieuses :
c’est ici le sol des fusillés. On ne peut rejoindre le haut de St Baudile qu’en soutenant le regard de ces héros dont les voix gémissent dans le vent. Alors c’est la montée grandiose dans un paysage sauvage et cependant riant de toute la floraison des chèvres feuilles suspendus aux buissons. Les genêts flambants veillent ces morts illustres. Les liserons roses aux calices serrés brodent le bord de la route ou s’étalent en napperons délicats.
Le chèvre feuille épouse la rondeur des halliers et va, de vague en vague, lécher les pentes de la colline ; Ici, c’est un mazet au toit orangé flanqué du cyprès traditionnel ; là, une vigne ; et d’allée de Parc, la route monte dans la rocaille qui se dénude de plus en plus. Mais l’hellébore fleurie, en plaques, continues, semble un tapis de fête qui enrichit la montée vers le sanctuaire… les cystes roses-mauve grandes étoiles dans le velours réséda de leur feuillage nous guident généreusement et les cystes blancs, plus humbles, donnent un semis de petites étoiles à ce décor de montagnette. Les plants prostrés des asphodèles aux longues feuilles, pleurent leurs fleurs. Les pissenlits citronnés, les houx épineux en moutonnements sombres, toutes les herbes gracieuses et graminées, les gueules de loup un peu soufrées et jusqu’en haut les immortelles dorées comme des offrandes funèbres. Puis les genêts, toujours les genêts en masses ensoleillées honorant l’abside romane de St Baudile de toutes leurs mèches allumées ! Tout en haut du lieu béni, il n’y avait plus que l’esprit planant dans le vent. Ce vent composé de tous les parfums de thym et de garrigue, de tous les cris funèbres, de toutes les émotions nées au nord, au sommet du Pic St Loup, à l’est des nostalgies de Maguelonne et de Villeneuve les Maguelonne, au sud des voies d’orgue de la mer et à l’ouest de la chanson paisible du paysan de Fabrègues. Cette rose des vents qui dominait les genêts grésillants… L’asphodèle-lis-des-héros, pousse dans les terres dégradées. 16 jeunes héros fusillés en 1944 au champ de tir de la Madeleine. Les 16 stèles sacrées.
Ce vent qui dominait tout, emportait la feuille, le sel des salines, la brume, la pensée et les larmes…
Au loin, vers le sud, miroitait le canal, Frontignan, et plus loin encore, cachée par les vallons, Sète-la-salée.
Le vent sautait les murettes éboulées où fleurissaient quelques oeillets roses.
Mais le citron pâle des pissenlits, l’ocre des immortelles, l’or des genêts en feu donnaient la prédominance au jaune dans cette flore des Garrigues de St Baudille.
Les senteurs de thym nous mordaient au passage et nous laissaient une trace brûlante. L’oiseau blanc chantait la gloire sur la tombe des jeunesses héroïques !
Journal, 10 juin 1956