par Jean-Pierre Rose, historien de l’art
Ouvrage à paraître en 2021
« La grâce et la solidité… » disait-elle. Comme elle sut ainsi se définir.
Mon souvenir d’elle : une image forte, une Dame entre Yourcenar et Gertrude Stein, la Gertrude de Picasso, du dessin préparatoire au portrait peint, plantée forte, mains aux genoux, le chignon en turban, souveraine. Le regard aigu, entre enfance et malice, mesurant autour d’elle la solidité des êtres et des choses. Voyant déjà la construction à garder, donc le tableau. « Tenir surtout aux proportions » sa première règle, qu’elle précise encore : « la proportion sans couleur et sans forme est déjà la beauté ». Dans les gouaches, dans les peintures, dans les illustrations, cette rigueur frappe. Comme elle frappa le religieux commanditaire de la grande « Résurrection », voyant le dessin premier portant le visage du Christ comme une croix, rude vision.
Elle avait traversé l’Ecole de Paris, attentive et hautaine, sans être éclaboussée par les facilités. La rigueur de ses analyses formelles ne l’a jamais conduite à singer le cubisme. Quel caractère ! Obstinément peintre, toujours ce retour à l’essentiel : on parcourt le monde et l’on retrouve l’atelier. Et le lieu, on l’ordonne, on déménage les plantes aimées de la Vignette, on construit la tour. Psalmodie ! Au fait, psalmodier n’est ce pas exactement cela : sur la structure immuable des Psaumes, la voix exerce, reprend et déroule la beauté en long phylactère.
Son travail embrasse largement le Monde, Terre et Mer dit-on dans certaines cuisines. Pour la Terre, regardons. Elle m’offrit un tableau de petit format, qui est un résumé très serré de ce que l’on peut souhaiter d’un peintre. Format étroit en hauteur, l’inverse de ce que l’on attend d’un paysage. Dans ce cadre, de grands troncs verticaux, on aurait presque une symétrie mais la scansion des verticales l’évite et la masse horizontale d’un toit, du construit sur la gauche, pèse adroitement dans la balance tendue des formes.
La couleur s’écrit en passages mesurés, d’une matière offerte en touches franches mais sans vulgarité, égale et exactement variée à la fois. Y a-t-il plus juste ? C’est une image qui, fréquentée quotidiennement, ne s’épuise pas et vous dit toujours : « Me voilà, te voilà, voilà le monde ». Dans les œuvres de Richarme on trouve présente cette interrogation – confession, cette tension et cette densité fondamentales.
Pour autant que je sois apte à porter un jugement dans ce domaine, les qualités ci-dessus évoquées sont le signe de présence d’un grand, d’un bon peintre.
Nous nous rencontrions, elle m’écrivait, c’est à mes yeux autant de privilèges qu’elle m’accordait. Elle était peintre en permanence, vous entraînait par sa présence, sa parole, ses écrits, dans la peinture. Elle pouvait vous dire des choses d’une délicatesse extrême sur la notion de passage. J’ai d’elle une lettre parlant de cela, d’une grande justesse appuyée sur une connaissance fine de son Art, de son histoire, liée à une sensibilité sans failles, raisonnée, comme celle de Poussin.
Une part d’enfance enjouée égalait chez elle une fraîcheur de regard, point constant de référence, d’ironie sans méchanceté, de distance sûre vis-à-vis d’autrui. Elle savait distinguer les mauvais…
J’ai été honoré de la fréquenter mais je suis grandement honteux pour Montpellier où elle vécut et œuvra durant 25 ans, où rien ne fut fait de son vivant pour dire quelle était l’importance de sa contribution à la Peinture.
Demeurent la peinture et les écrits. Songez aux écrits heureusement sauvegardés et publiés.
Je vous en prie, lisez Richarme ! Isolez-vous comme elle le faisait à Psalmodie, dans le calme, «… Un calme comme une note tenue indéfiniment sous l’archet de mai… ». Là ! Voyez bien, il faut lire Richarme, nom de Dieu ! C’est bon pour l’âme, bon pour le cœur, « … pour vivre un peu dans le royaume des oiseaux ».
« Je voudrais aussi faire naître la merveille » écrivait-elle en 1947.
Mission accomplie, Dame Richarme !
Jean-Pierre Rose.